Aux pères que je continue de mettre en scène

L’épave d’un voilier, un vaste paysage polaire en arrière-plan, et un équipage de survivants désespérés. S 62° 58’, W 60° 39’ débute dans une condition à la fois irréelle et effrayante : celle de devoir survivre, de tenter de retrouver la vie d’avant.

On ignore comment ils se sont retrouvés dans cette situation. Leurs coordonnées GPS — S 62° 58’, W 60° 39’ — indiquent leur position précise dans les eaux glacées de l’île de la Déception, en Arctique.

Mais avant que des réponses ne soient données, un acteur s’adresse au réalisateur. Peu à peu, l’histoire se défait pour laisser émerger autre chose : un traumatisme profond, intime, qui nourrit depuis longtemps l'œuvre du metteur en scène — un traumatisme que les acteurs refusent désormais d’incarner.

Dans cette nouvelle création de Franck Chartier, la fragilité prend le premier rôle. Une quête de vérité et d’émotions authentiques pousse chacun au-delà de ses propres limites. Les interprètes livrent leur vécu, exposent leurs émotions, mais se heurtent aussi à la pression constante du réalisateur qui les pousse toujours plus loin.

Après des années de sacrifices — volontaires ou non — ils commencent à se demander ce qu’il se passerait s’ils disaient non.

La frontière entre fiction et réalité s’efface, dans une tentative désespérée de briser les cercles de la violence. Les acteurs cherchent à inventer une révolution, une fin, un nouveau départ. Mais peut-être que cette fin, ce renouveau… n’est rien d’autre qu’une autre fiction.

Dans un processus continu de réarrangement, de répétition du traumatisme, au cœur d’un paysage arctique implacable, S 62° 58’, W 60° 39’ ouvre une réflexion sur ce que nous voulons créer sur scène, ici et maintenant.

Est-ce là le seul moyen de digérer nos blessures ?

Quelle poésie souhaitons-nous faire naître ?

Quel message transmettre ?

Ou bien, en fin de compte, faudrait-il simplement… cesser de créer ?

Le réalisateur devrait-il tout abandonner ?